Lors de mes études de Psychologie, il y a une dizaine d’années, un article scientifique m’avait particulièrement attiré : « L’insoutenable automaticité de l’être ». Le clin d’œil littéraire, quant à son titre, m’avait poussé à la lecture du texte, prosaïque, certes, mais très instructif. Ses auteurs, John A. Bargh et Tanya L. Chartrand de la New York University, ont dressé un inventaire sur le rôle et les limites du libre arbitre qui se cacherait dans chacun d’entre nous, les humains.

Il semblerait que ce que nous percevons de notre environnement et de nous même est évalué ou jugé en grande partie indépendamment de notre volonté. Lorsque nous fonctionnons en mode « pilote automatique » il ne s’agit pas toujours de mécanismes que nous avons appris intentionnellement, tels que conduire une voiture, pratiquer un sport, jouer d’un instrument… Un phénomène qui intrigue les scientifiques est celui des processus mentaux qui éloignent souvent la conscience des actes que nous accomplissons, a priori, par des décisions choisies, comme par exemple poursuivre un but. Il est surprenant de constater que des motivations peuvent être opérées automatiquement, simplement par des situations vécues fréquemment. Celles-ci se transforment dans notre cerveau en représentations mentales par le fait que nous les vivons / percevons de manière répétée et/ou sur une longue durée, comme par exemple le respect de ses parents ou la notion du succès en société. Sans que nous ayons choisi de les adopter comme un but personnel, notre inconscient le fait à notre place et nous guide à travers des mécanismes réactionnels. A noter que les aires activées dans le cerveau sont les mêmes pour les processus motivationnels initiés consciemment que pour ceux déclenchés inconsciemment.
La conscience déserte automatiquement les processus mentaux où elle n’a plus d’utilité, où elle juge que nous ne devons plus penser car l’acte que nous sommes en train d’accomplir ne met pas notre organisme en danger immédiat. Les processus inconscients économisent l’énergie importante dont notre conscience a besoin pour les processus où elle est indispensable incessamment dans notre survie de chaque instant.
Sans rentrer ici dans les détails des expériences de A.Bargh et Tanya L.Chartland, pour cela je vous laisse déguster l’article, l’on peut conclure que souvent, au moment où nous saisissons ce qui nous arrive, notre corps, ou notre esprit, a déjà agi. Autrement dit, quoi qu’il nous arrive, souvent nous n’y serions pour rien !!

Sans doute par automaticité, je ne peux m’empêcher de faire des parallèles, voire des raccourcis mentaux car mon évaluation les juge importants. En l’occurrence je pense à notre communauté humaine, un grand organisme formé par les individus que nous sommes, avec sa propre conscience collective et son propre inconscient.
Cette conscience collective, ou sociale, aurait-elle déserté les processus sociétaux « normaux » ? En effet, la machinerie semble si bien réglée, l’organisme si bien rodé à fonctionner, que son inconscient a démarré l’autopilote pour rester dans la trajectoire. L’énergie économisée est donc transférée vers la conscience qui, en navigant à vue, est censée protéger notre organisme collectif contre tout danger immédiat. Autrement dit, nous ne nous rendons compte que de ce que nous percevons, à échelle des affaires humaines. Les échéances au-delà de notre champ de vision nous dépassent.

Pourtant, nul ne peut ignorer que quelque chose est en train de bouleverser la vie sur Terre. Mais quoi ? Si des tentatives d’explication foisonnent, alertent, proposent, la foule paraît paralysée et incapable d’agir autrement que par la continuation de ses gestes considérés comme universels, des gestes qui, dans l’immédiat, ne la mettraient pas en danger.
La société occidentale, érigée en quelque sorte sur les Lumières de la Raison, se laisse guider par de belles phrases déclarées comme les Droits de L’Homme et du Citoyen. La propriété est sacrée, un droit inaliénable de l’homme !… intégrées dans le navigateur de notre pilote automatique.
Les 232 ans qui nous séparent du moment de cette déclaration ne correspondent à même pas une milliseconde à l’échelle de l’existence de la vie, soit plus de 4 Milliards d’années, bien trop court pour la conscience sociale de saisir la finalité d’un tel réflexe de l’Histoire. Enfin, l’infime recul dont nous disposons aujourd’hui en tant que collectif ne nous permet pas d’appréhender les effets du but que nous sommes en train de poursuivre, vivre la grande Liberté au sens de cette Déclaration. L’idée des « droits de l’homme » est née d’une situation, d’une perception à une époque où un bouleversement était imminent. Une poignée d’hommes, ayant peur de perdre leur pouvoir, et surtout leur propriété, par l’avènement d’un monde trop fraternel, suggéraient, sur fond de droit à la Liberté, de « laisser faire » (les hommes) et de « laisser passer » (les marchandises) sans demander l’avis de qui ni de quoi que ce soit sur Terre.
Bien plus ancien que l’occident, le commerce avait pour but de libérer l’humain de la vie sauvage. Il a inventé la monnaie pour faciliter l’échange de choses entre les personnes. Puis, ayant compris que l’accumulation de cette monnaie peut rendre la vie en société plus commode, il l’a baptisée capital en le classant dans la catégorie propriété, c’est-à-dire protégée par le fameux droit inaliénable de l’homme.
Schématiquement, il suffisait à un petit nombre d’individus de faire faire des gestes répétitifs à un grand nombre d’individus, pour produire d’innombrables fois un même objet dans un petit laps de temps, en payant un petit montant d’argent à chacun. Puis, il fallait inciter le grand nombre d’individus à acheter les objets pour reprendre cet argent. Chacun a le droit d’imiter ce procédé à une échelle sans limites. Voilà le commerce d’homme à homme remplacé par l’automatisation, l’échange de choses utiles entre personnes par la vente en masse d’objets utiles et inutiles. Produisez, consommez, votre vie sera plus commode ! Une certaine idée de succès est instillée dans les esprits et les a condamnés à poursuivre un but qui n’avait pas besoin de la conscience pour être décidé.
Adieu l’époque où l’argent avait le sens d’éviter à l’humain de mener une vie sauvage. Bonjour l’époque où le capital lui permet de faire de « grandes choses ». Grandes pour lui en tout cas. Minuscules à échelle de tout ce qui le dépasse, de tout ce qui sort de son champ de vision direct, écarté de sa conscience. L’économie d’énergie faite grâce à l’inconscient l’empêche donc de se situer dans le temps et dans l’espace. Elle permet l’apparition d’une économie toute autre, celle instaurée par lui et élevée par lui au-dessus de tout. Celle qui devient la mesure de toute chose terrestre, définie dans le Larousse comme « l’ensemble des activités d’une collectivité humaine relatives à la production, à la distribution et à la consommation des richesses. » C’est ainsi que l’homo sapiens est devenu l’homo economicus, sans s’en rendre compte et, nous l’oublions pas, sans demander à qui ni à quoi que ce soit sur Terre.

Étant ainsi dépassé par sa propre inconscience, l’humain a engendré bien d’autres dépassements dont j’aimerais vous parler dans l’article suivant et dont il serait temps de reprendre le dessus.