La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Ce début de l’article 4 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 pose la base pour une pensée civilisée. Aujourd’hui, en France, cette phrase fait partie des livres scolaires, elle est ancrée dans le système judiciaire pour défendre, pour juger et elle existe dans notre inconscient, contribuant ainsi à un équilibre dans ce que l’on appelle notre mentalité. Si au quotidien cet article était aussi visible sur nos écrans que les spots publicitaires incitant à acheter, elle inciterait un plus grand nombre de personnes à réfléchir sur le sens de la liberté dont nous jouissons.
L’esprit contemporain est calibré avant toute chose sur la pensée économique. Dans l’usage que nous en faisons, celle-ci n’est pas très philosophique, je dirais même qu’elle nous obstrue la vue sur la viabilité de nos projets, aussi bien au sens chronologique que géographique. Chronologique parce que l’appât des gains impose un rythme effréné de consommation et raccourcit considérablement le cycle de vie de la plupart de nos outils. Géographique parce que les méthodes de production et de financement généralement acceptées écartent de notre vue l’impact qu’elles ont sur la dégradation des conditions de vie d’autres êtres vivants, dont certains de nos congénères qui œuvrent loin de nos yeux.

Cette omniprésence économique fait de l’homme un opportuniste. Dans son inconscient il existe bien une éthique, une définition de ce qui est « juste », mais la domination commerciale les relègue trop souvent au deuxième rang. Les mécanismes psychologiques mis en place par l’individu justifiant la dérogation décrètent que ses propres actions soient anodines, classées comme « normales » car admises par le plus grand nombre. L’impact sur l’extérieur du soi en est minimisé et cela à proportion de chaque réalité vécue. Par conséquent, l’inégalité entre les hommes n’a jamais été aussi colossale qu’aujourd’hui. Elle concerne aussi bien les richesses matérielles que morales.

Faut il s’accommoder de nos attitudes ? Si nous ne sommes pas d’accord avec certaines d’entre elles, suffit-il de s’en offusquer sur les réseaux sociaux ou d’aller manifester dans la rue sans introspection préalable ? N’est-il pas important de comprendre d’abord les phénomènes qui nous entourent, les lois qui nous gouvernent ? Les réseaux sociaux peuvent inspirer certaines démarches, mais ils ne sont ni neutres ni ne peuvent-ils structurer la pensée. Aller crier dans la rue qu’une vérité prime sur d’autres peut alerter sur des injustices, certes, mais la violence n’est jamais loin. Ne rien faire ? Non ! S’instruire. L’instruction est le premier moyen pour une meilleure harmonie dans la communauté humaine, étant le seul qui a un pouvoir sur la conscience de nos comportements. Chercher à acquérir une vue d’ensemble des choses de la vie et de l’univers, et cela à tout âge, au lieu d’être spécialisé chacun dans un domaine et se mettre à accumuler des objets. La fin de l’école obligatoire et des études avant l’entrée dans ce que l’on appelle « la vie active » ne peut pas signifier la fin de l’instruction générale. Faut-il tout oublier à partir du moment où l’on est censé gagner de l’argent et faire fonctionner la grande Économie, la croissance ? Les actes d’un individu savant sont guidés moins par l’impulsion que par la réflexion. Donner davantage d’importance à l’Être qu’à l’Avoir peut libérer d’un poids. Or, notre système actuel est conçu non seulement sur l’accumulation de choses, mais aussi sur la commercialisation du savoir, de l’information, pour en tirer profit lorsque l’on en détient dont d’autres ont besoin. « La connaissance est le pouvoir » disait un grand révolutionnaire du dernier siècle. Gagner en confort au détriment des autres parce qu’on a le pouvoir de le faire, c’est justement faire ce que nuit à autrui.

Mon optimisme débridé me chuchote dans une oreille que ce penchant obscure de l’homme pour la puissance ne reflète qu’un stade dans son évolution, une ère qui touche à sa fin. Puis, je remarque la perplexité de nombreuses personnes qui sentent un changement dans l’air, prêtes à faire quelque chose, à condition que l’on leur dise quoi et comment. La croyance que c’est au gouvernement d’agir est ancrée dans les esprits. Suffit-il néanmoins de légiférer pour rendre les hommes plus raisonnables ? La diversité humaine est vaste et les opinions divergent, des règles sont nécessaires, bien entendu. Mais les règles se font au gré des mœurs dans une société, en fonction des usages admis par la majorité. Nous disposons déjà de nombreux instruments institutionnels nécessaires pour arriver à des compromis endiguant les folies qui menacent l’humanité. En France, depuis 2004, nous avons même une charte de l’environnement qui est un texte de valeur constitutionnelle, c’est-à-dire au-dessus des lois que le législateur peut proposer (cliquer ici). Qu’est-ce qui manque alors ? Le savoir que tout est possible autrement ! Chaque individu peut prendre du recul, prendre conscience de ses actes, réfléchir sur ce qu’il perçoit, sur ce que peuvent en être les origines et les conséquences. Étant confinés à nouveau aujourd’hui, soyons opportunistes, mais différemment ! C’est une occasion pour se détacher de certaines idées reçues, addictions, réflexes ou impulsions. Admettre que le mot sobriété pour nous n’est pas forcément synonyme de misère.

La nature ne revendique rien, elle suit ses lois. Nous devons les apprendre et y adapter les nôtres. Puisque nous faisons partie de cette nature, il ne sert à rien de revendiquer des droits s’ils ne sont pas compatibles avec elle. Elle fait son tri sans état d’âme en éliminant ce qui n’est pas capable de survivre. La compréhension du fonctionnement de soi et de son environnement est primordiale, mais aussi le fait de se sentir libre, libéré de jugements, de raccourcis mentaux, de moqueries, de peurs. La liberté permet de stimuler l’imagination. A son tour, l’imagination permet d’oser, d’entrapercevoir des alternatives ! On peut tout faire, au moins tout ce qui ne nuit pas à autrui, ni directement ni indirectement.