Que le big bang soit sorti du chapeau d’un grand néant, qu’il y ait un univers ou plusieurs, qu’on descende d’un singe ou d’un iguane, que Héraclite n’ait pas achevé son œuvre, que selon Kant la raison pure soit sujet à critique, que la glande pituitaire s’appelle aussi hypophyse, que Tenzin Gyatso soit né Lhamo Dhondup, que 爱(Ài) en chinois signifie Amour… qu’est-ce que ça change ?
Ne vaut-il pas mieux bosser pour gagner de quoi payer son crédit que de perdre son temps à avec des détails ? N’est-il pas plus important de consommer, de faire prospérer l’économie que d’encombrer son esprit par des futilités ? Ne faut-il pas plutôt alimenter les réseaux sociaux avec nos images pour exister que de déambuler dans la mémoire ?

Stocker un nombre record de détails pour être champion d’une compétition me paraît en effet une action vouée à l’insignifiance. Au contraire, se construire un savoir à bon escient permet de prendre du recul, de relativiser le présent et d’envisager ce que l’avenir pourrait nous réserver. La soumission aux exigences de l’immédiat nous trouble la vue, nous prive de l’intelligence de la vie et amoindrit la capacité de contempler le monde avec lucidité.

Si j’ai décidé d’écrire ici mes réflexions de temps à autre, c’est que j’ai envie de partager, de participer à l’échange de pensées humaines. Le savoir pour moi est une forme de plaisir, les mots sont une forme d’action. Je m’en sers pour être en harmonie avec mon environnement et pour créer ma vision dans la cacophonie qui nous envahit, dans le brouillard d’une opinion appelée publique et qui domine et influence le cours des choses.

J’ai vu le jour à un moment quelconque dans l’Histoire. Mon regard se forme au fil des évènements rencontrés sur le chemin. Mon esprit s’affine en le confrontant à d’autres conceptions. Une philosophie en naît et me place dans une position par rapport à tout le reste, au gré du hasard. Je ne suis qu’un individu parmi les 8 Milliards de congénères peuplant actuellement la planète Terre, un être vivant parmi je ne sais combien d’autres. Chacun avec sa perspective, ses sensations, ses peurs et sa logique pour rester en vie le temps qu’il faut. Je suis là, NOUS sommes là, vous et moi, à partager l’espace, le temps et le bruit du monde. Nous avons beau être peu de choses dans l’univers, à l’échelle d’une communauté humaine nous avons, a priori, tous le même poids, la même responsabilité. Nous pouvons échanger, apprendre mutuellement nos expériences et nous organiser autour de notre condition. Il est essentiel d’en être conscient et de savoir que chacun peut changer la donne lorsqu’un malin gaillard croit pouvoir imposer une solution unique pour dominer les aléas de la nature… et nous avec.

L’enchaînement des moments dont se compose une vie n’est pas une constante. Les inquiétudes, motivations, sentiments, besoins… ne sont pas identiques à chaque instant. Il n’existe ni une vérité ni un ordre idéal qui permettraient de se poser et de dire « Enfin tranquille !! ». Nous ne disposons que de notre corps, avec toute sa complexité et son caractère éphémère. Il nous permet d’appréhender les éléments, de saisir la matière, de discerner la diversité, de faire appel à une mémoire sémantique, d’imaginer. Ainsi il devrait être possible, théoriquement, de placer son cerveau dans la peau d’un autre, de développer l’empathie nécessaire pour vivre en paix, pour donner un sens au passé, au présent et au futur.

Je rêve d’un jour où le génie de l’homo sapiens saisira l’univers entier. Non pas pour le posséder, mais pour le traduire dans son langage, pour lui permettre de l’écrire et d’y ajouter sa part. Mon émerveillement d’être en vie et de savoir que d’autres ont vécu avant moi me pousse à m’instruire, à savoir davantage. Pourquoi ? Pour pouvoir me mettre à la place des autres.
Que la curiosité nous accompagne jusqu’au bout. Que la volonté nous inspire à être utiles. Que la bienveillance soit notre objectif et l’empathie notre raison.